Ce commentaire est tiré d'une étude du CNRS des années 60. Il a été un peu réactualisé.
I – LE CADRE GEOGRAPHlQUE
l. Voie d'accès à la commune
La commune de Marchastel fait partie du canton de Nasbinals, division administrative du département de la Lozère. En plein centre du plateau de l'Aubrac, ce canton s'avance en pointe entre les départements de l'Aveyron et du Cantal. La commune est constituée du bourg de Marchastel, du hameau de Rieutort et de quelques fermes isolées. Elle compte une population de 75 individus. Le bourg est construit en retrait de la route nationale qui mène de Marvejols à Nasbinals ; il abrite la mairie et l'église. Un léger crochet à droite, en empruntant un chemin vicinal (goudronné), conduit au hameau de Rieutort situé sur l'ancienne voie romaine et distant d'un kilomètre du premier village. Les fermes isolées sont disséminées sur les 3 435 hectares de la commune. Une distance de cinquante kilomètres sépare le bourg de Marchastel de la préfecture de Mende. En réalité, le véritable éloignement de la commune se mesure en terme d'altitude. De Marjevols, situé à mi-chemin sur ce parcours, à Marchastel, la route doit franchir une dénivellation de 600 mètres. Cet écart suffit à modifier considérablement le climat et la végétation.
2. Le milieu naturel
Sur les pentes des Monts d'Aubrac, les taillis aux essences variées, hêtre, frêne, alisier et sorbier sont nombreux, mais n'atteignent pas les limites sud de la commune de Marchastel. A quelques dix kilo- mètres du côté Est, une forêt de pins sylvestres constitue la plus proche occupation de cette essence. Le territoire de Marchastel même n'est qu'une vaste étendue de pâturages verts où croît la haute gentiane, caractéristique de la flore de cette altitude. La déforestation remonte à des temps très anciens. L'élévation moyenne de la commune dépasse les 1200 m . Les points les plus élevés sont la montagne de Bord bas et la Montredorte, atteignant respectivement 1310 et 1291 m.
La rivière Bès prend sa source à l'extrémité sud de la commune. De là, elle traverse et coupe en deux moitiés le territoire de Marchastel pour longer ensuite les frontières du Nord-Ouest. Ses eaux iront augmenter le débit de la Truyère plus au nord. Aux sources du Bès, les lacs de Saint-Andéol et de Bord recouvrent une superficie de vingt hectares au milieu des montagnes de Bord, de Cap Combattut et de Saint-Andéol.
Les dépôts glaciaires recouvrent tout le territoire de la commune. Au Sud-Ouest du Bès, les sols basaltiques prédominent. Le bourg de Marchastel est aussi adossé à un pic basaltique. Ailleurs, les sols granitiques plus acides l'emportent. Les moraines partout jonchent le sol et posent un obstacle de taille à l'éleveur. Il faut également signaler quelques terrains marécageux au Nord-Ouest de Marchastel où les spaignes en décomposition ont formé une tourbière.
A Marchastel, les conditions climatiques de la montagne sont extrêmement rigoureuses. L'hiver est long et pénible. La période d'enneigement dure plus de 4 mois. Lorsque les vents se mettent à souffler, c'est la tourmente. On craint surtout les vents du Nord plus froids que ceux du sud. Pour cette raison, les maisons sont toutes faites sur le même modèle : les portes donnent sur le sud et le mur adossé au Nord n'offre aucune ouverture. L'été est de loin la saison la plus courte. Le calendrier de l'estivage, qui va du 25 mai au 13 octobre, marque le début et la fin de la belle saison. Le temps est généralement beau et l'ensoleillement intense.
Les pluies, assez fréquentes, sont toutefois très froides et suffisent à ramener le climat de l'hiver. On prévoit les gelées dès le mois de septembre. Le cycle des saisons imprime un même rythme aux activités des communautés villageoises. A l'animation estivale de la fenaison et des foires succède un ralentissement général des activités socio-économiques durant les mois d'hiver.
I I– ELEMENTS D'HISTOIRE SOCIO-ECONOMIQUE
l. De l'antiquité à l'Ancien Régime
Il convient d'évoquer en premier lieu quelques aspects de l'histoire ancienne de Marchastel. On repère dans le réseau routier de la commune de courts tronçons de l'ancienne voie romaine qui menait de Toulouse à Lyon. Cette route militaire construite par Agrippa traversait le pays des Gabales, premiers habitants du Gévaudan ancien ou de la Lozère actuelle. La route vicinale qui va du pont de Marchastel, sur le Bès, à Rieutort, puis à Malbouzon suit le tracé de cette vieille voie de communication. On reconnaît encore certains endroits les dalles qui la recouvraient.
La voie romaine passait également près du lac Saint-Andéol qui, dès cette époque, c'est-à-dire au II et au III siècles, était l'objet d'un culte. Les gens s'y rendaient en grand nombre, à la fête de l'Epine, le second dimanche de juillet. Grégoire de Tours raconte qu'on y jetait des pièces d'étoffe, des toisons de laine, des fromages, des gâteaux de cire. On apportait de quoi boire et manger. Pour tenter de christianiser ces jeunes païennes, on y édifia une église. Le culte persista sous une forme syncrétique jusqu'en 1867 où des combats violents nécessitèrent l'intervention des forces de l'ordre. Depuis ce temps, la fête de l'Epine a perdu, semble-t-il, son caractère religieux, mais a toujours lieu au relais des lacs, un petit café situé à quelques centaines de mètres du lac Saint-Andéol. En 1964, une foule assez considérable se pressait
autour des manèges et dansait au son de la cabrette. Le second dimanche de juillet est aussi le fête votive de la paroisse de Marchastel.
Le Dr Morel, président de la société des Lettres de la Lozère, nous confiait que des fouilles ont été effectuées par M. Gilbert de Chambrun sur l'emplacement du vieux temple. On y a découvert de vieilles pièces de monnaie, des statuettes d'animaux et des tessons de poterie aux styles variés.
Il existe également des vestiges d'anciens villages "gallo-romains" dans la commune de Marchastel. On croit que l'un d'eux se trouvait à proximité du lac Saint-Andéol. Les vestiges ne sont pas visibles. Selon le Dr Morel, Saint-Andéol était autrefois paroisse, Deltour évoque aussi des titres du XIII siècle faisant mention d'une paroisse appelée la Vaisse, située au même endroit. A un kilomètre de là, non loin du lac de Bord, sur la montagne du même nom, on peut voir les décombres de plus de vingt maisons. Cet endroit est connu par les paysans sous le nom de "village de Bord". M. le curé de Marchastel cite encore les endroits suivants comme des sites probables de villages anciens : Coste Rouge, sur le chemin de Rieutord en direction de Malbouzon ; le Roc du Coucut, de l'autre côté de Marchastel, du côté opposé au village actuel ; on distingue encore le plan des maisons et du village ; la Vaisse Haute, sur la montagne aux frontières de Marchastel, dont celui de Montorzier, le plus important, avec ses 33 maisons.
Selon la tradition populaire nombre de ces villages auraient été évacués et brûlés à l'occasion des grandes pestes qui ont ravagé la région, les dernières en 1721 et 1733. Selon Deltour leur destruction remonte aux invasions des Barbares ou des guerres des fils de Louis le Débonnaire au IX siècle. Quoi qu'il en soit de l'âge et des causes de l'abandon de ces villages, ils témoignent d'une longue et dense occupation humaine à Marchastel.
2. Marchastel dans l’Ancien Régime
Le compoix de Marchastel, datant de 1685 et annoté en 1711, est conservé aux Archives Départementales de la Lozère à Mende. Ce document historique renferme de précieuses informations concernant les communautés villageoises de Rieutort et de Marchastel.
Le compoix trace les limites des " terroirs " du territoire de Marchastel et de Rieutort, et il donne la liste nominative des propriétaires de chacun de ces villages. Ces données nous ont permis de reconstituer de façon approximative, mais que nous estimons assez proche de la réalité, la carte historique de la commune indiquant le partage des propriétés domaniales, seigneuriales et villageoises tant collectives que privées.
Le territoire actuel de la commune appartenait alors en majeure partie à la dômerie d’Aubrac et à la baronnie de Peyre. La rivière Bès servait de ligne de démarcation entre les propriétés des premiers et des seconds. Tout ce qui se trouvait à l’ouest du Bès appartenait au dom d’Aubrac et à l’est au seigneur de Peyre. Il faut ajouter que l’Ordre de Vialte possédait aussi une montagne dans Marchastel, la montagne de Saint-Andéol. Des pierres gravées de la Croix de Malte marquaient les bornes de leur propriété. Certaines subsistent encore selon le propriétaire actuel de la montagne.
Les communautés villageoises de Marchastel et de Rieutort étaient sous la tutelle du Seigneur de Marchastel, le cadet de la famille de Peyre. La maison de Peyre était au Moyen Age une des plus puissantes du Haut-Languedoc. Elle possédait des droits de suzeraineté sur plus de quarante paroisses dans le Gévaudan seulement, en plus de nombreux fiefs ecclésiastiques. Ses possessions s’étendaient jusque dans l’Auvergne et le Rouergue. Le château de Marchastel, partie de la baronnie de Peyre, était l’apanage des cadets de Peyre. Ils portaient tous le prénom d’Aldeberg et entraient la plupart dans les ordres. Le château de Marchastel avait à son tour des dépendances : le dom d’Aubrac qui rendait hommage à son seigneur ; les châteaux de Baldassé et de Beauregard ; les seigneurs de Saint-Juéry ; les prieurs de Malbouzon pour le mas de Bouzon, les Pagésies et Chaldecoste ; Pierre Virgile pour Melet, Mermont et Chaussenel ; la paroisse de Saint-Christophe de Badaroux et de nombreux autres.
Une liasse de documents aux Archives Départementales de la Lozère, concernant les années 1639-1715, font référence à des transactions et à des procès mettant en cause Octave de BELLEGARDE, dom d’Aubrac, et Antoine de GROLLÉE et Dame Marie de SOULAGES agissant au nom de leur fils Franqois ALDEBERG de PEYRE, baron de Marchastel. Aux termes d’une entente intervenue entre les parties, il est dit que le baron de Marchastel conserve la haute justice sur les lieux de Fours, Fournets, Grand- viala, Balebessière, la Védrine, les Allatieux, le Cher, Montgros, Montgrousset, le Beaulès, le Buisson, Champrol, les Salhens, la Chabasse, Chazalts, Serremejean, la Garde, !es Gouttes, Chaldecombe. Ce sont pour la plupart des hameaux situés dans l'Aubrac lozérien. Le seigneur de Marchastel était donc assez puissant à cette époque. On stipule en plus que le baron et ses rentiers prendront le bois nécessaire dans les forêts d’Aubrac, tant en Rouergue qu’en Gévaudan. Ce dernier document date de 1640. Certaines communes lozériennes, dont Marchastel, sont encore usagères du bois d’Aubrac en 1998. Quatre dynasties se sont succédées à la baronnie de Peyre : les Astorg jusqu’en 1532, sous le règne de François ler ; les Carèaillac de 1532 à 1609, sous le règne de Henri lV ; les Grollée de 1609 à 1720, sous le règne de Louis XV ; et les Moret de 1720 à la Révolution.
Le château de Marchastel, construit au sommet du pic du même nom, fut assiégé et pris par les Anglais sous le règne de Charles V. Les Anglais, qui avaient campé dans la plaine le long du Bès, y édifièrent un moulin dont le nom rappelle le nom probable d’un chef de l’armée, Bouquincan ou Buckingham. A partir de cette époque, le seigneur de Marchastel habitera le château de Peyre, puis le château de la Beaume.
Au XVI siècle, en effet, César de Grollée réunit les châteaux de Peyre et de Marchastel. Il aménagea et restaura le château de la Baume sur la commune de Prinsuéjols et le transforma en somptueuse demeure. Il était Lieutenant Général du roi en Languedoc. César de Grollée procéda, sans trop de scrupules selon la tradition populaire, à la réunification et au remembrement de ses terres, en profitant de sa position de force vis-à-vis des communautés villageoises et des propriétaires individuels. La réputation de ce seigneur, que l’on appelait " Lou César ", s’est transformée en légende et s’est transmise jusqu’à nos jours. Les paysans de Marchastel racontent encore la légende selon laquelle il erre toujours autour de son ancien château sous la forme d’un gros chien noir, sans jamais pouvoir y pénétrer. On l’entend hurler pendant les tempêtes d’hiver. Il expie ainsi ses nombreux méfaits.
Les communautés villageoises de Rieutort et de Marchastel formaient des enclaves au milieu des grandes propriétés nobles et religieuses et dépendaient du seigneur de Peyre. Elles en recevaient la protection et payaient en retour diverses formes de redevances. Selon le compoix de 1685, la plus grande partie des terres des villageois était tenue en propriété collective. Rieutort possédait ses propres communaux de même que Marchastel. Il s’agissait en fait de deux communautés villageoises indépendantes, groupées autour de leurs biens collectifs et de quelques morceaux de terre tenus en propriété individuelle. Sur le plan administratif, ces deux " lieux " formaient le " mandement " de Marchastel. La paroisse avait nom de Saint-Sébastien et Saint-Fabien de Marchastel; le chapelain résidait au village du même nom.
La liste nominative des propriétaires comprend 109 noms. De ce nombre, il faut soustraire 39 forains, ce qui ramène le total à 70 propriétaires. De ceux-ci, 4 habitent Rieutort et 29 Marchastel. Il s’agit en règle générale de très petites propriétés, car les communaux respectifs des deux villages, qui sont de vastes pâturages, recouvrent plus de la moitié du territoire. Ces propriétés individuelles sont constituées de prés de fauche et de terres labourables où l’on cultive l’orge, le seigle et le chanvre. La solidarité des communautés villageoises se fonde sur la propriété collective et les oppose comme classe sociale aux nobles et au clergé. Une classe bourgeoise est en formation, sortie des rangs des villageois ; notaire, greffiers et quelques gros paysans en forment le noyau à Rieutort.
Le compoix permet de dénombrer 68 maisons dans les deux villages, 43 à Rieutort et 25 à Marchastel. Rieutort semble alors le village le plus gros et le plus important. On specifie que les habitations sont couvertes de chaume à l’exception de cinq toits d’ardoises dont l’un appartient au seigneur de Peyre, l’autre à un avocat de Nasbinals et les trois autres à des villageois. Le seigneur de Marchastel possède aussi une grange à toit d’ardoises.
Les eaux de la rivière Bès actionnent plusieurs moulins desservant les deux communautés villageoises.
L’un d’eux se trouve non loin de Marchastel au " travers del Mouli ". Le deuxième dont il a été question plus haut, le moulin de Bouquincan, est construit le long de la voie romaine sur la route de Rieutort. Le moulin de Sarrat, à deux meules comme le précédent, est situé à l’extrémité Nord-ouest du territoire de Rieutort. Le compoix mentionne aussi deux moulins à blé au Deroc, le long du ruisseau qui sert de décharge au lac Salhens sur la commune de Nasbinals. Les villageois désireux de faire moudre leurs céréales doivent payer la " mouture " ; elle consiste en une certaine quantité prise sur l’orge ou le seigle que l’on veut faire moudre.
Le compoix atteste aussi la présence de quatre fours dans la commune. L’un d’eux appartient au seigneur de Marchastel, les trois autres à des villageois de Rieutort. A l’origine, la possession d’un four est le privilège du seigneur. Les villageois doivent lui payer une certaine redevance pour utiliser le four banal.
Une lecture attentive du compoix donne également un aperçu de la nature des cultures. Il mentionne plusieurs " chanabières " (chenevières), terres utilisées pour la culture du chanvre. Les autres terres labourables étaient sans doute utilisées pour la culture de l’orge et du seigle principalement. La partie restante des propriétés individuelles est constituée presque exclusivement de prés ou de prairies naturelles. Les communaux sont de vastes pâturages pour le bétail des villageois.
Le bétail est également diversifié. Aux alentours de 1700, il y avait plus d’ovins que de bovins dans la commune de Marchastel.
Selon les informations contenues dans le compoix, le cheptel d’un exploitant est presque invariablement composé de la façon suivante : le quart de bovins et les trois quarts d’ovins. Le nombre de têtes par troupeau ovin va d’une douzaine à soixante-dix pour les plus gros exploitants et par troupeau bovin, de quelques unités à une vingtaine. A cela, il faut ajouter quelques porcins; on mentionne en effet à deux reprises une loge à pourceaux.
Les structures villageoises anciennes ressortent avec assez de netteté de cette brève analyse du compoix et de documents annexes. Les villages sont placés sous l’autorité du seigneur de Marchastel, mais ils administrent eux-mêmes leurs biens communaux. Ils constituent des enclaves dans un système socio- économique plus vaste; du côté Ouest de la rivière Bès, les vastes pâturages de la dômerie d’Aubrac forment les bases du système abbatial; du côté Est, l’économie seigneuriale prédomine avec les grandes propriétes du seigneur de Peyre. Comparé aux vastes domaines des seigneurs et du clergé, le territoire des communautés villageoises est infime. Ce système correspond à une hiérarchie sociale et économique précise : le système de classes hérité de la féodalité oppose clerge et seigneur aux villageois. La solidarité de ceux-ci leur sert de protection vis-à-vis de l’emprise et des empiètements de ceux-là. Cette solidarité se manifeste notamment dans la propriété collective dont les racines semblent aussi vieilles que les communautés elles-mêmes. La force du groupe des villageois est plus forte que celle des individus. De cette époque datent d’autres formes de droits collectifs comme le droit d’affouage dans le bois de Tournecoupe appartenant à la dômerie d’Aubrac.
Marchastel et Rieutort se maintiennent grâce à une économie vivrière. L’exploitation a des orientations multiples. Le cheptel comprend des ovins et des bovins. On élève aussi des porcs. On cultive certaines céréales dont l’orge et le seigle; on cultive aussi le chanvre. Alimentation et vétement sont ainsi assurés. Les artisans fabriquent l’outillage agricole : on parvient à réaliser une relative autarcie économique et sociale.
3. De l’Ancien au Nouveau Régime
A la Révolution de 1789-99, l’Aubrac lozérien prend le parti de la contre-révolution. Les soldats de Charrier de Nasbinals s’emparent même de Mende en 1793. Ils sont toutefois bientôt refoulés par les troupes républicaines, et la révolution triomphe. Marchastel devient commune et acquiert les nouvelles frontières qu’elle maintiendra jusqu’a ce jour. Les biens de la dômerie d’Aubrac sont confisqués et mis en vente. Le seigneur de Marchastel prend le parti de la Revolution et échappe à la confiscation. Nous étudierons plus en détail, au chapitre de la propriété, le problème de la vente des biens nationaux et du partage des biens communaux autorisé par une législation de la même époque, constatant que, malgré l’apparente libéralité du nouveau régime, celui-ci conserve les mêmes bases que celles de l’ordre ancien, et maintient l’inégalité des possessions foncières.
4. au XIX siècle et au cours de la première moitié du XX siècle
Au XlX siècle, Marchastel aborde un virage critique. De profondes transformations socio-économiques marqueront l’histoire de la commune pendant la période qui va suivre. Ces changements se caractérisent par l’abandon progressif de l’autarcie des communautés villageoises. Au chapitre suivant seront étudiées les transformations affectant la population et le régime foncier, tandis que seront abordés ici les autres aspects de la vie socio-économique : l’habitat, la culture et le bétail, les moulins et les fours, les techniques agricoles.
Après la réforme administrative, le village de Rieutort perd son dynamisme. De gros village qu’il était, il deviendra un petit hameau à l’écart des grandes routes. Nasbinals a été choisi comme chef- lieu de canton et a attiré à lui le petit commerce et les boutiques d’artisans. Le cabinet du notaire de Rieutort se transporte à Nasbinals. Une seule forge continuera à opérer à Rieutort jusqu’à une époque récente. Les maisons ne se transforment guère. Les habitations plus cossues des anciens notables, reconnaissables à leurs structures " mycéniennes ", sont maintenant occupées par des éleveurs. Toutes les maisons sont aujourd’hui couvertes d’ardoises.
Au début du siècle, une dizaine de maisons à Marchastel seulement étaient encore couvertes de chaume. Au village de Marchastel, le plus gros propriétaire-exploitant de la commune, la famille Saltel, construisit une vaste demeure qui fut agrandie récemment pour recevoir des colonies d’enfants. Les gens du lieu appellent cette maison le " château ". C’est parmi cette famille que l’on a choisi les maires pendant toute cette longue période. Les cultures de seigle et d’orge disparaissent. Le cadastre de 1813 fait état de 74 hectares de terres labourables, celui de 1913 de 8 hectares seulement. En 1964, moins d’un hectare d’orge est cultivé à Rieutort.
Parallèlement à cette évolution des cultures, les moulins et les fours sont peu à peu désaffectés. Le moulin de Marchastel, selon nos informations, a cessé de fonctionner dans la deuxième moitié du XIX siècle, de même que celui de Bouquincan. Le moulin de Sarral a été gardé plus longtemps en opération; jusqu’en 1940, le propriétaire y moulait encore la farine pour l’alimentation de ses animaux. Les fours ont subi le même sort un peu plus tardivement; on les a utilisés jusqu’aux environs de 1920.
La famille Saltel, propriétaire du moulin de Marchastel, construisit une scierie près du moulin à la fin du XIX siècle. Cette entreprise n’eut pas 1e succès escompté et elle fut remplacée, en 1907, par une laiterie construite sous l’égide de la " Société Française Des Grandes Laiteries De l’Aubrac " fondée en 1906. Cette usine produisait du lait en poudre à l’origine; elle se spécialisa finalement dans la fabrication d’un fromage bleu, le " Bleu d’Aubrac ". Un circuit de ramassage du lait fut organisé dans Marchastel et dans les communes voisines. La laiterie employait un gérant et jusqu’à cinq employés à une certaine époque. Toutefois les éleveurs se désintéressèrent peu à peu de la production du lait qui devient moins rentable. En 1964, un seule exploitation à Marchastel faisait encore la traite de quelques vaches. La laiterie a dû fermer ses portes en 1963. La fabrication du Bleu d’Aubrac se poursuit à Fournels, commune située aux limites de l’Aubrac en Terre de Peyre.
L’élevage ovin, autrefois prédominant, disparaît complètement. Les derniers troupeaux que l’on faisait paître le long des routes et dans les pâtures communes disparaissent entre 1920 et 1930.
Dans la zone de montagnes de Marchastel, la traite des vaches et la production du fromage de Laguiole a cessé plus tôt qu’ailleurs en Aubrac. Entre 1900 et 1940, toute production cesse dans la commune. La montagne de La Vaisse du Milieu a été la dernière à l’abandonner en 1954, toutes ont été transformées en manades. Cette conversion des activités en montagne a des répercussions importantes pour la population villageoise qui trouvait, grâce à ces activités, un emploi saisonnier non négligeable.
A propos des techniques agricoles, mentionnons que nous avons trouvé des araires en très bon état, utilisés lorsqu’on cultivait le sol. Ces araires ont été peu à peu remplacés par les charrues de type Brabant à l’époque de l’abandon des cultures. Aujourd’hui, cet outillage n’a plus rien de significatif. Pour la moisson, les faucheurs de métier montaient de saint-Geniez-d’Olt dans la vallée du Lot ou venaient de ta Terre de Peyre. Les céréales étaient liées en gerbes à l’aide du " tourtou " ou bâton lier. Les battages se faisait à l’aide de " flagels " ou fléaux, technique encore observée en 1964 à Nasbinals.
Pour la fenaison, la faucheuse à boeufs a été introduite après 1920. Ce n’est qu’après 1950 que la moto-faucheuse a fait son apparition et que son emploi s’est généralisé. On continue à utiliser le râteau à foin tiré par un cheval. Il n’y a ni botteleuse ni tracteur dans la commune de Marchastel. Le transport s’effectue à l’aide de la charrette à deux roues avec ridelles facilement démontables, tirée par une paire de boeufs d’Aubrac. Un seul éleveur à Marchastel possède un camion pour le transport de ses bêtes dans les foires. L’électrification de la commune, à l’exclusion de fermes isolées, date d’une trentaine d’années seulement, malgré les richesses hydrauliques de l’Aubrac. Certaines fermes isolées ont été électrifiées en 1963, les autres ne l’étaient pas encore en 1964.
Ce survol rapide de l’histoire de Marchastel montre comment les communautés villageoises perdent peu à peu leur ancienne autarcie. Il ne reste plus que des traces de l’économie vivrière du XVIII siècle. Des changements majeurs dans d’autres secteurs de la société ont accompagné cette évolution économique. Parmi ceux-ci, il faut insister sur les bouleversements profonds qui se produisent au niveau démographique, niveau stratégique de la vie socio-économique.